Et si les napkins récitaient des poèmes? Entretien avec Anthony Lacroix, fondateur des Éditions Fond’Tonne

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Publié le 08 avril 2021

Et si les napkins récitaient des poèmes? Entretien avec Anthony Lacroix, fondateur des Éditions Fond’Tonne

Par Caroline Gauvin-Dubé

En 2012, Anthony Lacroix travaillait sur sa première œuvre : Carcasse d’Occident : haïkus et autres non-poèmes. Pendant la même période, plusieurs de ses amis lui envoyaient des manuscrits de poèmes en se questionnant sur les maisons d’édition où ils pourraient les soumettre. Parmi le lot, des manuscrits lui semblaient vraiment originaux et intéressants, mais il ne trouvait pas d’endroit leur correspondant tout à fait. C’est à ce moment-là qu’Anthony a vu un espace à combler dans le monde éditorial québécois et que sont nées les Éditions Fond’Tonne. Anthony rappelle qu’en 2012, « la poésie n’était vraiment pas à la mode comme elle l’est présentement : Poètes de brousse publiait beaucoup moins, La Peuplade avait fermé sa section poésie, L’Oie de Cravan n’était pas aussi diffusée et L’Écrou n’existait que depuis quelques années ». Sans compter qu’il avait découvert une véritable passion pour le monde de l’édition lors de ses études collégiales en Arts et lettres. Deux ans plus tard, en 2014, paraissait le premier recueil de poésie de Fond’Tonne : Misères illimitées — Full-time Miseries de Marianne Verville, quatre poèmes en versions française et anglaise publiés pour une série de spectacles lors du Victoria Spoken Word Festival.

Des livres-objets étonnants : quand la forme répond au texte  

Fond’Tonne, depuis ses débuts, se donne pour mission de présenter autrement la poésie, d’élargir ses possibilités : « Les recueils de poésie sont minces et se perdent dans les bibliothèques. C’est dommage parce que la poésie est tellement maniable sur le plan graphique ». Cette idée de bâtir des recueils sous un format différent a déjà donné vie à plusieurs projets originaux et étonnants. Parmi ceux-ci, des poèmes dans un pot Masson, des prescriptions poétiques dans une boîte ou encore des slogans poétiques qu’on traîne comme un carnet de coupons publicitaires. La facture graphique de ces différents projets se veut évocatrice des univers poétiques des autrices et auteurs et n’est jamais choisie au hasard.

Le livre-objet le plus récent de Fond’Tonne, Vickie de Catherine Cormier-Larose, est présenté dans un distributeur de napkins. Anthony décrit le texte comme une rupture d’amitié et explique l’idée du distributeur comme le partage d’un dernier moment entre les deux amis : « Je le vois un peu comme un dernier repas dans un terrain neutre pour faire le point et se laisser. Sans oublier le côté grunge, chars, cantine de bord de route de Catherine ».

À la question d’où lui viennent toutes ces idées, Anthony répond : « Ça peut paraître étrange, les gens ne savent pas ça de moi, mais j’adore traîner dans une quincaillerie ou un Bureau en gros. Je passe beaucoup de temps à regarder les tablettes et les gadgets. C’est souvent ce qui me donne des idées. Je veux vraiment qu’il y ait un arrimage entre le fond et la forme ». Il avoue d’ailleurs avoir quelques idées en banque pour lesquelles il n’a pas encore trouvé de manuscrits qui se prêteraient bien au jeu : « Ray Bradbury a déjà fait des poèmes à planter. J’aurais vraiment envie de faire ça ! J’aimerais aussi faire avec Aimée Lévesque un projet avec des sachets de tisane. Il y a de l’espace pour un poème sur les petits morceaux de carton au bout du sachet ! ».

De Sherbrooke à Rimouski : une poésie hors des grands centres

D’abord basées à Sherbrooke, les activités de Fond’Tonne se sont déplacées à Rimouski en même temps que son fondateur. Si le passage d’une ville à l’autre n’a pas changé l’objectif de la maison d’édition de sortir la poésie de Montréal, Anthony remarque qu’une « oralité régionale s’est accrue en venant à Rimouski » : « Il y a une parole de grands espaces. Je n’ai pas publié beaucoup d’auteurs du Bas-Saint-Laurent encore, mais ça s’en vient ». Et ça s’en vient rapidement, dès ce printemps, avec la parution du recueil de poésie de Martin Robitaille qui prend racine dans les grands territoires gaspésiens.

Anthony Lacroix, qui a découvert la poésie par le slam et est lui-même un slameur, s’intéresse beaucoup à « une poésie plus orale, plus québécoise, une poésie qui est faite pour être dite ». Cette poésie vivante et régionale que Fond’Tonne met de l’avant trouve un écho jusque dans le nom de la maison d’édition, qui reprend une expression orale québécoise populaire !

 De la poésie à la prose : les différentes collections de Fond’Tonne

Actuellement, Fond’Tonne compte 5 collections : « 20 onces », « Broches à foin », « Crédits Carbone », « Pléiade Direct’ » et « Focus ». L’idée des collections est toutefois plutôt récente dans l’histoire de la maison d’édition. Au départ, Fond’Tonne se concentrait principalement sur la poésie et le livre-objet et n’y voyait donc pas de nécessité. Puis est venu un premier projet en prose, soit un recueil de nouvelles, qui a changé la donne pour Anthony : « Je voulais que ce soit différent. Je ne voulais pas que ma collection principale en soit une de prose, car je demeure avant tout un éditeur de poésie ». Sans compter qu’à la même époque, on ressentait un effet de mode autour des collections, qui ont « quelque chose de drôle et de familiarisant ».

« 20 onces » est donc devenue la collection principale de Fond’Tonne. On y retrouve tous les livres-objets ou ceux qui ont une idée graphique précise. La collection « Broches à foin » rassemble les livres brochés, trop minces pour être reliés : « Au départ, c’était des extraits de projets ou de shows. Des zines pas chers qui aidaient à financer les plus gros projets. Finalement, on a aussi reçu des manuscrits qui étaient des livres en soi, complets malgré leur longueur. Dix semaines et demie de Valérie Provost ne fait que 15 pages, mais c’est un 15 pages qui se tient. Je ne voulais pas que l’autrice ajoute du texte pour ajouter du texte, ça aurait gâché sa puissance, sa vérité ».

La collection « Pléiade Direct’ », de son côté, est pour la prose plus longue. Le nom de la collection part d’une blague avec l’auteur Pascal Laprade, un bon ami d’Anthony. Anthony lui avait lancé, en admiration devant son talent d’écrivain : « Toi c’est tellement bon ce que tu fais que c’est de la pléiade direct’ » et l’expression est restée. Cette collection compte peu de titres, car Anthony ne veut pas devenir un éditeur de romans parmi tant d’autres : « Ce n’est pas que je n’aime pas le roman. Au contraire, j’en lis beaucoup. Mais ça ne m’intéresse pas d’en publier à moins qu’une voix m’appelle ». Ce printemps sortira donc le deuxième titre seulement de cette collection : Les outrages du désir de Marcel Méthot, un roman qu’Anthony qualifie de Harlequin revisité au ton ducharmien.

Deux nouvelles collections ont également vu le jour dans la dernière année : « Crédits Carbone » et « Focus ». La première propose des récits de voyage décentrés et a été créée à l’occasion de la sortie du livre de Christine Portelance : Le regard de l’autre : Carnet d’un voyage au Pays du Milieu. La deuxième offre de beaux livres sur papier glacé mariant texte et images. Aucun titre n’est encore paru dans cette collection, mais deux sont à venir : ceux de Martin Robitaille et de Pascal Laprade qui allient poésie et photographie dans leur travail.

Ce que l’on constate, c’est que c’est la nature des projets acceptés qui mène bien souvent à la création de nouvelles collections. Fond’Tonne ne choisit pas ses manuscrits en fonction de leur correspondance à l’une d’entre elles, mais se tourne plutôt vers des projets bien souvent hybrides qui méritent leur propre niche. Loin donc de caser les textes selon leur genre, les collections de Fond’Tonne sont plutôt là pour offrir un espace qui joue sur le langage et les frontières génériques.

Les défis des maisons d’édition indépendantes

Anthony Lacroix est un acteur important dans le monde du livre à Rimouski. Il est non seulement éditeur, mais aussi bibliothécaire, auteur, slameur et étudiant au doctorat en lettres à l’UQAR. Il n’est pas toujours facile d’arrimer tous ces rôles dans son quotidien : « Ce que j’aime, c’est lire les manuscrits, trouver la perle rare, travailler le texte avec l’auteur. Une fois que le livre est fini et qu’on le reçoit de l’imprimeur, et c’est normalement là que se joue une grande partie du travail de l’éditeur, je ressens une grande fatigue. J’aimerais vraiment n’avoir qu’à lire les manuscrits. C’est ce que je fais de bien ».

Anthony s’est entouré d’une équipe de confiance pour les différentes étapes de la publication du livre qu’il se sent moins à l’aise d’accomplir. Fond’Tonne, c’est aussi Frédérique Dubé, la co-directrice et webmestre, à qui Anthony passe le flambeau pour la diffusion, les communications, les détails administratifs. C’est Pierrette Denault, la correctrice « sur la coche » dont la maison ne peut se passer, c’est Gabrielle Montigny et Marianne Verville, graphistes toujours en orbite autour des activités de Fond’Tonne.  

Fond’Tonne est maintenant bien connu à Sherbrooke et à Rimouski. La maison d’édition a une belle visibilité avec des invitations à Radio-Canada, à l’émission Plus on est de fousplus on lit ! et des chroniques dans Le Mouton Noir ou Libraire de force. Malgré cette reconnaissance et le travail passionné de son équipe, Anthony constate qu’étant une maison d’édition indépendante et un organisme sans but lucratif, Fond’Tonne doit redoubler d’efforts pour se tailler une place dans le monde éditorial québécois : « Pour être accrédité comme éditeur au Québec, il faut sortir au moins cinq livres par année en un certain nombre d’exemplaires, ce qui est impossible pour moi qui fais du livre-objet ».

Par contre, alors qu’on serait tenté de croire que le milieu littéraire québécois est très compétitif, Anthony souligne plutôt la grande entraide qui y règne : « Lorsque je reçois un manuscrit qui ne correspond pas à ce que je cherche, mais qui a vraiment une voix intéressante, je le redirige vers d’autres maisons d’édition et on me le rend très bien. J’ai envoyé des manuscrits à La Peuplade et à L’Écrou et eux aussi m’en ont envoyé. La Peuplade m’a beaucoup aidé avec mes demandes de subvention, L’Écrou avec mes droits, Poètes de brousse avec mes contrats ». C’est donc avec beaucoup d’entrain qu’Anthony voit la suite des choses pour Fond’Tonne et le monde du livre au Québec.

Le prochain défi de Fond’Tonne, afin d’élargir son lectorat à la grandeur de la province, est de trouver un distributeur, ce qu’Anthony aimerait faire avant le 12 août, journée J’achète un livre québécois.

D’ici là, vous pouvez découvrir leurs dernières publications en venant nous visiter en librairie ou en magasinant en ligne ici.

Si vous voulez découvrir leur travail plus en profondeur, je vous invite à parcourir leur très chouette site web.

P.S. : Si vous souhaitez découvrir Anthony en tant qu'auteur, son tout dernier livre, paru aux Éditions de la maison en feu, est disponible ici

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